Article dans "Tout l'immobilier" : "Courir dans les vagues"

Avant que les nouveautés de la rentrée littéraire de septembre ne débarquent dans les librairies, intéressons-nous à l’un des romans les plus intéressants paru dans la première partie de 2021, “Courir dans les vagues”, du Genevois Harry Kourmouyan, qui signe avec ce livre un très beau récit sur la recherche du père.

Avec un titre que l’on croirait tiré d’un poème de Rimbaud, Harry Koumrouyan, qui se consacre désormais à l’écriture après avoir exercé de nombreuses responsabilité dans le domaine de l’enseignement genevois, jusqu’à conseiller un chef du Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse, livre, avec “Courir dans les Vagues” un excellent roman, remarqué parmi les parutions de ce drôle de printemps 2021. Il s’inscrit d’ailleurs dans l’un des thèmes que plusieurs écrivains, dont Marc Dugrain, Sorj Chalandon ou bien encore Amélie Nothomb viennent de s’emparer dans leurs dernières parutions: la figure du père.

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Le choix de la Société de Lecture

Courir dans les Vagues

Le troisième roman d’Harry Koumrouyan poursuit le veine familiale d’Un si dangereux silence (16.2 KOUM 1) et de l’Impératrice des Indes (16.2 KOUM 2) et explore avec talent et délicatesse le problématique rapport au père d’un adolescent de 17 ans, secret, rêveur mais déterminé, prêt à courir dans les vagues, c’est-à-dire à affronter ses peurs pour faire la connaissance d’un père inconnu. Retrouvera-t-il la trace de cet homme dont il ne possède qu’une photo, et qui s’est mystérieusement volatilisé, probablement aux États-Unis? Ne risque-t-il pas d’être rejeté s’il parvient malgré tout à le retrouver? Simon Gautier a été élevé par une mère qui a choisi de se débrouiller seule, traductrice indépendante, après le brusque départ de son amant, charmant diplomate américain rencontré à l’ONU, qui n’as jamais su qu’elle attendait un enfant de lui. C’est avec plaisir que le lecteur parcourt une Genève familière, de Vandeouvres à la rue Leschot, en passant par le collège Calvin, où se croisent les destins souvent touchants de nombreux personnages secondaires qui portent chacun une part de l’expérience humaine. Mais le paisible romain se mue soudain en un thriller haletant dans la deuxième partie du livre lorsque Simon initie, malgré les réticences de sa mère, sa quête du père à New York, pour la poursuivre au fin fond du Canada.

Genève, New York, la quête du père

Source: Domaine Public, Pierre Jeanneret - 3 juin 2021

Courir dans les vagues, dernier roman de Harry Koumrouyan, un texte qui a du souffle et joue de rebondissements.

Photo: © C.Mosiniak Paillier

Photo: © C.Mosiniak Paillier

Dans la production littéraire romande de cette première partie de l’année 2021, un livre nous semble sortir du lot. Sans doute ne doit-il pas sa principale qualité à son inventivité stylistique. La langue de Harry Koumrouyan reste très classique, et on a parfois l’impression de lire une œuvre de Gide ou de Mauriac, à l’exception des dialogues, qui sont davantage de notre temps. Mais Courir dans les vagues a du souffle ! L’auteur maîtrise parfaitement l’écriture d’un roman ample, aux multiples rebondissements – tous parfaitement crédibles – et mettant en scène de nombreux personnages.

Résumons brièvement l’argument de cet opus, sans en dévoiler bien sûr les péripéties, qui lui confèrent un rythme et par moments un véritable suspense. Simon Gautier, dix-sept ans, est un adolescent de Genève, fréquentant le «lycée», en fait le collège. Il n’a jamais connu son père. Celui-ci, Matt Eastland fut le compagnon de sa mère Pauline, avant de la quitter. Alors enceinte, elle a décidé d’élever son enfant seule, d’une manière assez possessive. 

Simon va partir à la recherche de ce père fantôme, dont il ne possède qu’une photo en noir/blanc. Ce qui constitue le thème principal du roman. Il va mener une véritable enquête, qui le conduira jusqu’aux États-Unis. Il s’approchera toujours davantage du but de sa recherche, notamment grâce à l’aide d’une série de témoins, qui ont connu Matt, lorsqu’il travaillait pour l’ONU à Genève ou pour la CIA en Amérique.

Le roman progresse aussi grâce à une série de flash-back, qui nous font connaître le passé des différents personnages. À ce propos, il faut relever l’empathie qui lie l’auteur à ceux-ci.

Une autre qualité de ce roman est de décrire avec beaucoup de justesse les différents milieux où évoluent ces personnages. Qu’il s’agisse de l’atmosphère scolaire du collège – probablement le collège Calvin vu sa situation géographique; du milieu assez fermé des instances onusiennes, comme Albert Cohen l’avait si bien fait pour la SDN; de la bourgeoisie protestante habitant les villas du quartier chic de Vandœuvres, avec ses rituels figés et un peu désuets; des diverses facettes de New York que l’auteur semble bien connaître. 

C’est dit avec un mélange de tendresse et d’humour, voire d’ironie, même si certains passages du livre se révèlent être assez pathétiques. Et tout cela sonne juste, ce n’est pas de la «littérature» au mauvais sens du terme, le lecteur y croit.

Sans pourtant jamais s’égarer dans des digressions qui nous feraient perdre le fil de l’action principale, Harry Koumrouyanen vient à développer des thèmes collatéraux, donnant même un moment à son livre le caractère d’un roman d’espionnage. Mais nous n’en dirons pas plus… Quant à la rencontre de Simon et de son père, elle finira bien par avoir lieu, mais là aussi nous laissons au lecteur le plaisir de découvrir une fin inattendue. 

L’auteur, Harry Koumrouyan, a été enseignant à Genève, directeur de collège, puis collaborateur d’un conseiller d’État. Il se consacre maintenant à l’écriture. Courir dans les vagues est son troisième roman. Une œuvre à suivre !

Harry Koumrouyan, Courir dans les vagues, Vevey, Éditions de L’Aire, 2021, 315 p

 

Société de Lecture de Genève - L'impératrice des Indes

Trois jeunes gens se rencontrent lors d'une traversée de l'Atlantique sur un paquebot nommé Impératrice des Indes. Venant d'horizons très divers, ils ont chacun une raison bien personnelle de larguer les amarres et de travailler sur ce bateau pour s'éloigner de pères problématiques. Ainsi se nouent les fils d'un beau récit plein d'humanité, véritable saga qui entraîne le lecteur de Kaboul à New York, en passant par Genève, où se déroule l'histoire de la famille Manoir, brisée par la mort prématurée de la mère de Gaspard et la mélancolie de son père Rodolphe. Seule Charlotte, grand-mère pleine de fantaisie, donne au jeune garçon l'impulsion nécessaire pour se défaire de liens trop lourds.

Harry Koumrouyan, ancien professeur genevois de littérature française, qui met à profit sa retraite pour inventer des histoires familiales complexes et émouvantes, poursuit dans ce deuxième roman une exploration qui avait commencé avec Un si dangereux silence (16.2 KOUM 1, très bien accueilli par le public en 2016. L'un des personnages de ce premier opus, le jeune violoncelliste Joseph Landolt, réapparaît d'ailleurs à la fin du livre, à New York. Il se lie d'amitié avec Raffy, lui aussi d'origine arménienne, et fait, dans des circonstances dramatiques, la rencontre improbable de Maria Encarnacion del Rio, belle figure d'une mama dominicaine dont la brusquerie cache un coeur plein de compassion.

Article paru dans "Société de lecture de Genève", juin 2018

Les réverbères de la mémoire

Les écrivains sont aussi les réverbères de la mémoire. Il y a les réverbères du parc de Trembley, oeuvre de Melik Ohanian,  que nous attendons depuis plusieurs années, sur fond de pétition anti-installation, tandis que d’autres éclairages proposés par des auteurs nous offrent une lumière avec autant de nuances contrastées sur une mémoire arménienne infinie.

Harry Koumrouyan dans son œuvre « Un si dangereux silence » lève un voile sur ces oscillations perpétuelles ; dire, ne rien dire, susurrer, murmurer, oublier, se souvenir. Les survivants de la fratrie Simonian tentent en vain d’oublier la mort des parents massacrés, l’éclatement familial après le génocide qui démarre un 24 avril 1915, date à laquelle 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement.

Anoush, fille du réfugié Aram installé à Genève et transformé en riche bijoutier, veut qu’on l’appelle Anna, de Simonian à Landolt, le tour est presque joué. Joseph fils de Anna et petit-fils de Aram, jeune violoncelliste,  consigne dans son carnet bleu les secrets de famille. Entre Genève et New-York, une histoire qui se construit et se déconstruit, avec en arrière-fond, la tragédie arménienne que chacun traite à sa manière, entre déni et quête douloureuse. «On est à la fois de partout et de nulle part. La famille Simonian s’est habituée à l’immigration. Au départ, c’était la survie ; ensuite, on choisit. On a une valise prête dans le couloir ; on n’attend pas d’être chassé pour partir. » 

Comme un tâtonnement dans l'obscurité, le conteur Koumrouyan dont on sent le récit en héritage, dévoile, esquisse, revient à la charge, recommence, puis abandonne à nouveau pour mieux ressurgir. Pareil à une vague, il s’éloigne et revient, tout au long des 274 pages du livre, sur un événement dont on ne cesse de palper les contours dans une nuit obscure, mais avec l’urgence, avant tout, de ne jamais oublier. Mehmet ottoman auquel a renoncé Anne malgré l’amour qu’elle lui porte et qui ignore encore être arménien par sa grand-mère est lui aussi englué dans l’histoire : « c’est lourd et ça poursuit .»

Et à notre tour de voir surgir un miroir déformant étrange et de s’interroger : où et comment s'est tapi le monstre? Sous quelles formes nouvelles va-t-il surgir et frapper? Quelles questions se posent-ils, eux en face,  les descendants des génocidaires ottomans ? Y-a-t-il aussi une quête à laquelle ne peut échapper de leur côté, la lignée des bourreaux ? Nombreux sont ceux aujourd’hui qui réalisent avec stupeur être les descendants d’une chrétienne d’Arménie arrachée à sa famille; réduite à l’esclavage et convertie de force. La mémoire turque est-elle, elle aussi liée à ce dangereux silence transformé en chape de plomb;  un silence pesant qui plane pareil à un vautour aux larges ailes noires tournoyant presque immobile au-dessus d'un charnier encore frais.

Et l’amour « des fiançailles ottomanes » impossibles de poursuivre :

  • Le génocide c’était y à 100 ans, mais on dirait que c’était hier. Il ne nous lâche pas.
  • Quand on nie les faits, qu’on les refuse, on ne les efface pas. Bien au contraire. On les fait vivre. On a tué une population et on voudrait par le silence, la tuer une seconde fois. C’est impossible. Les preuves des événements existent ; il faut le courage de les regarder, de les accepter puis de dire la vérité. A ce moment-là, la paix reviendra. Peut-être.

 

100 ans dans l’histoire, ce n’est rien, c’est hier et on n’oublie pas. Les silences sont devenus éloquents !

 

Harry Koumrouyan – Un si dangereux silence – Les Editions de l’Aire, Vevey, 2016

L'auteur est né à Genève.  Licencié ès lettres, il a fait sa carrière au département genevois de l'instruction publique. Un si dangereux silence est son premier roman. 

 

Djemâa Chraïti

Harry Koumrouyan : Un si dangereux silence

Harry Koumrouyan est né à Genève. Après des études de lettres effectuées en Suisse et aux Etats-Unis, il poursuit une fructueuse carrière dans l'Instruction publique à Genève, directeur au Cycle d'Orientation, et responsable du personnel et de la formation continue des enseignants. Sa passion reste la littérature et il livre ici son premier roman, une fiction marquée au sceau de son itinéraire familial.

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